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ESS et communs

D 12 février 2016


Nous avons été invités à évoquer comment nous appréhendons l’articulation entre ESS et communs dans le cadre d’un séminaire de la chairESS le 11 février 2016 à la MESHS de Lille.

Les apports de l’ESS à la coopération en commun pour la formation d’une économie et d’une société plus coopératives et collaboratives

Les deux caractéristiques de l’ESS et des communs, telles qu’on les appréhende habituellement

L’ESS que nous appelons de réparation propose un soutien aux personnes en difficultés, la reprise par les salarié-es d’une boîte menacée de disparition par les actionnaires, des associations d’insertion ; ... il s’agit là de réparer les dégâts du capitalisme.

L’ESS est aussi un secteur parmi d’autres de l’économie capitaliste, un secteur d’activité parmi d’autres dans le monde économique. Elle est contributive à la croissance économique, une croissance enrichie de durabilité, d’acceptation sociale, de respect de l’environnement, de prise en compte du territoire, avec une gouvernance participative, etc. C’est une ESS qui entend contribuer à la création de valeur, encourager l’esprit d’entreprise, conquérir des marchés avec d’autres façons de faire, d’autres pratiques... Pour dire encore les choses rapidement, c’est une ESS de collaboration avec l’économie générale.

On peut établir exactement le même parallèle avec les communs.

Devant le saccage des ressources environnementales, les communs sont vus comme une voie de sortie vers le haut, en ce qui concerne la gestion durable des ressources naturelles : devant l’appropriation privée du savoir, les communs sont mis en avant comme une voie de sortie en ce qui concerne le partage des connaissances. On aurait là des communs de réparation, sous-tendus par une action collective qui permet de garantir la soutenabilité d’une ressource et sa permanence dans le temps.

Les communs limitent le phénomène général de marchandisation par le biais d’une appropriation, d’un usage et d’une exploitation collective : on a alors la perspective de règles de fonctionnement, d’instruments juridiques qui permettent à des collectivités de gérer en commun des ressources partagées, à côté de l’État et du marché. On aurait en quelque sorte, pour faire le parallèle avec l’ESS, des communs de collaboration, enrichis par une gouvernance communautaire, reconnue par les autorités centrales, enrichis par une pratique sociale d’appropriation des ressources.

Une grande absente

Qu’est ce qui manque à cette approche, à ces deux caractéristiques, de l’ESS comme des communs ? Une chose selon nous essentielle : la conflictualité. La réparation et la collaboration laissent le système en l’état, ne remettent pas en cause les cadres structurants du libéralisme, n’envisagent pas de remise en cause du capitalisme. Ce serait en quelque sorte la fin de l’histoire. Le propos, pour l’ESS, ce serait de mettre en œuvre une économie qui s’accommode du capitalisme en y injectant des valeurs positives, pour les communs il s’agirait de limiter la marchandisation, en injectant des pratiques sociales de gouvernance communautaire.

C’est pourquoi il nous semble important de rejeter cette approche binaire réparation / collaboration, pour nous tourner vers une troisième approche. En quelque sorte, il nous semble décisif de rechercher le tiers exclu, celui, qui ne nous est présenté que trop rarement.

Concernant l’ESS, au delà de la réparation et de la collaboration, c’est à une ESS de résistance que nous voulons nous référer, une ESS à visée de transformation sociale, une ESS inscrite dans la sortie du capitalisme.
Et il nous semble que cette même caractéristique de résistance a à s’appliquer aux communs. La représentation utilitariste du capitalisme prétend être la seule vérité sociale, prétend se poser en seule réalité possible, dans laquelle l’individu-e doit muter en « Homme économique » ? Dans ce contexte, et de manière conflictuelle (d’où notre appellation de « résistance »), les communs ont à s’inscrire résolument contre le système marchand, et à indiquer en quoi ils s’inscrivent dans le changement de société, en quoi ils contestent le système dominant.

À ce sujet, nous pouvons apprécier l’approche de Pierre Dardot et Christian Laval, dans leur dernier essai Commun. Essai sur la révolution au 21e siècle, dans lequel ils indiquent que la meilleure voie de résistance contre la "rationalité libérale" c’est de « refondre le concept de commun », de « libérer le commun de sa capture par l’État », et de « retrouver la grandeur de l’idée de révolution ».

Cliss XXI

On a évidemment une double « chance », en quelque sorte, c’est d’être bien ancré dans l’ESS (statut SCIC, première créée en région, impliquée dans deux territoires : le bassin minier, depuis douze années maintenant, et la MEL, depuis quelques mois, avec de nouveaux locaux, au sein de L’Auberge espagnole à Mons-en-Baroeul), et, d’un autre côté, d’avoir pour terrain d’intervention le logiciel libre, bien commun à promouvoir.

Quelques mots sur Cliss XXI

Notre entreprise offre des services informatiques en logiciels libres.

Elle est impliquée dans l’ESS : animation du COTESS bassin minier, cycle de débats « Penser ensemble » en cours sur le thème « ESS et changement de société », avec la participation d’autres coopératives (telle Ambiance bois) ou associations engagées dans cette dynamique.

L’éducation populaire constitue 10 % de notre activité dont des débats sur le numérique sous deux angles :

- fichage, flicage, traçabilité, vie privée, etc... (exemples : logiciel base élèves, les ordinateurs de vote, les puces RFID, etc.) ;

- l’emprise numérique, le numérique = libération ou aliénation, autonomie ou dépossession (Dardot et Laval parlent à ce sujet de l’illusion du « communisme technologique »).

On peut citer le thème du prochain débat « Penser ensemble » : les coûts sociaux du numérique, notamment les conditions d’exploitation des minerais utilisés dans les composants numériques. Invité : Amnesty International, à l’occasion de la sortie de leur dernier rapport Voilà pourquoi on meurt. Les enfants qui travaillent pour nos smartphones.

Autres thèmes qui pourraient être proposés dans la période qui vient : Uber, le peer to peer, etc.

Par ailleurs, nous menons chaque année un projet de de territoire (en 2015 : webradio avec lycées du bassin minier, en 2016, sans doute un projet MEL).

La trajectoire de Cliss XXI dans l’ESS

Depuis douze ans d’activités, notre trajectoire s’oriente en interne autour de pratiques :
- contre la division technique et sociale à l’œuvre dans la société et dans nos organisations ; nous privilégions un travail d’équipe, au sein duquel chacun-e est à la fois, ou tour à tour, concepteur et réalisateur, dirigeant et exécutant ;
- pour la rotation des postes : nous pratiquons la gérance tournante, avec élection chaque année ;
- pour l’égalité des salaires (ce qui change beaucoup de choses dans les rapports au sein d’une équipe) ;
- pour la polyvalence, avec l’idée de ne pas affecter des types de tâches donnés à une personne donnée ;
- pour la gestion de son temps de travail par chacun-e ;
- pour l’encouragement à alléger son temps de travail, pour améliorer sa vie quotidienne ; c’est aussi nous libérer de la centralité que l’économie a acquise avec le capitalisme, ce qui est une aberrante anomalie historique.

Enfin, Cliss XXI est une SCIC et en possède les deux caractéristiques fondamentales :
- le multisociétariat, ce qui nous permet un un maillage avec une typologie variée d’acteurs (usagers, collectivités, salariés, bénévoles, etc.) ;
- des activités marchandes et non marchandes, avec la perspective de réintégrer les activités productives dans le tissu de la vie sociale.

En externe, nous portons :

- la coopération, et non la compétition, avec d’autres organisations similaires, en région ;

- la participation à des réseaux coopératifs comme Libre Entreprise : des organisations francophones, qui possèdent, comme Cliss XXI, la « double casquette » logiciels libres et fonctionnement coopératif. Ce réseau nous permet en outre de bénéficier d’échanges sur de nombreuses problématiques, par exemple techniques et de nous appuyer les uns sur les autres pour certains projets. C’est ainsi que Cliss XXI a été amenée à intervenir avec d’autres organisations du réseau dans d’autres régions de France, et, réciproquement, nous avons pu mener en région des projets qui dépassaient notre capacité en nous appuyant sur des ressources de Libre Entreprise ;

- notre investissement dans la création du réseau La Prise, une mise en réseau de lieux et d’initiatives consacrés à la création et au développement d’activités collectives, avec l’émancipation comme finalité (la mise en œuvre de La Prise va connaître prochainement de nouveaux développements, avec l’arrivée de Cliss XXI dans ses nouveaux locaux, en métropole, conjointement avec d’autres organisations de l’ESS, proches de nous sur le plan des finalités) ;

- enfin, ces dernières années, notre trajectoire s’est caractérisée par notre investissement, depuis son origine, dans la Foire à l’autogestion, dans la création du LAG (Lieu autogéré), et, plus récemment, notre participation (avec À Petits PAS, notamment), aux rencontres du réseau REPAS (Réseau d’échanges de pratiques alternatives et solidaires) qui entend « militer pour un monde différent et reprendre le pouvoir sur l’un des vecteurs essentiels de la construction des sociétés ».

Pour finir, il nous semble important, à l’externe, de ne pas manquer de rappeler que l’ensemble de ces pratiques s’inscrivent dans des finalités explicites de transformation sociale et de sortie du capitalisme, un système mortifère et prédateur.