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HelloAsso, au bonheur des associations ? 

D 16 février 2020


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La plate-forme HelloAsso a le vent en poupe, et touche de plus en plus d’associations. Elle se présente comme pouvant simplifier l’organisation de vos conférences – festivals – boutiques – voyages – soirées – cours – compétitions – tournois – ateliers – stages – cotisations – courses – financements – projets… au travers d’outils tels que la gestion des dons, la mise en place de crowdfunding, la gestion des adhésions ou la billetterie.

L’équipe de HelloAsso c’est actuellement 65 salarié⋅es : des directeurs⋅trices, des chargé·es d’accompagnement, de communication, de développement, une équipe de développeurs·ses… Elle connaît une expansion très forte : en un an, le nombre de salarié⋅es a doublé. 100 000 associations seraient inscrites sur la plate-forme, et fin 2019, ce sont 210 millions d’euros qui ont été collectés pour les associations !

L’usage du numérique et des données

Disons-le d’emblée : les services proposés sont sympas, HelloAsso est experte dans le paiement en ligne. C’est beau, c’est moderne, modulable, ergonomique, facile à intégrer, à utiliser…

Mais… les logiciels développés par HelloAsso sont privateurs. À l’inverse des logiciels libres, nous n’avons pas connaissance de ce qu’ils font ni comment. Nous ne pouvons pas non plus les installer ni les exécuter sur notre ordinateur, ou mettre en place un HelloAsso bis, que l’on administrerait. La notion de logiciel est d’ailleurs rendue archaïque, puisque l’utilisateur·trice n’a plus à s’en soucier : désormais, tout passe par des services en ligne, dans le « cloud » [1]. Nous voilà donc privé⋅es de toute liberté sur ces services et logiciels, seuls leurs propriétaires (les dirigeants de HelloAsso, donc) en ont le contrôle. Par ailleurs, HelloAsso choisit d’héberger ses applicatifs chez Microsoft.

Le monde du Libre regorge d’autres pratiques, plus éthiques, avec des engagements forts pour et par les utilisateur·trices. Rester dans ce modèle centralisé et fermé, en se drapant dans de beaux discours sur l’éthique et l’intérêt général, ne masquerait-il pas plutôt un intérêt pour la rente ? À minima, cela permet de détenir et assurer le monopole de ses services, collectant au passage les données du monde associatif.
À l’ère du Big data, où la donnée c’est de l’or, en posséder une telle masse, qualifiée et ciblée, peut aisément donner des idées de valorisation, au sens strictement marchand du terme. L’exploitation commerciale d’un fichier unique des associations ne peut manquer d’intéresser des entreprises fournisseurs de biens et de services, de même que l’exploitation du fichier des donateurs peut séduire nombre d’intermédiaires en placements financiers. En y regardant de plus près, une telle exploitation (à l’instar du modèle économique choisi par d’autres géants du Web) serait cohérente avec le code NAF de la société : Activités des agences de publicité (7311Z).

Même si HelloAsso déclare dans ses conditions générales d’utilisation ne pas utiliser les données personnelles des particuliers à des fins commerciales, cela nécessite en l’état de faire confiance aveuglément, y compris dans les années à venir. En ce qui concerne les données des associations, à l’heure du capitalisme de surveillance, elles pourraient notamment devenir la cible d’entreprises fort éloignées des préoccupations et des valeurs du monde associatif. Si par ailleurs il n’existe pas d’alternative, les usagers⋅ères seront lié⋅es à une politique à laquelle elles et ils pourront difficilement se soustraire.

Enfin, l’économie de la surveillance n’intéresse pas forcément que les entreprises, et peut offrir de grandes facilités aux services de renseignement. Cela pose d’autant plus question à l’heure où notre société installe progressivement une surveillance de masse généralement acceptée.

La récupération des émotions

Il convient de s’interroger sur le modèle de « pourboires » – rebaptisé « contributions volontaires » depuis – appliqués aux paiements, et sur lequel repose HelloAsso.

Que ce soit un « pourboire », qui par définition fait référence à une gratification donnée à une personne, ou une « contribution », qui laisse imaginer quelque chose de collectif, le registre utilisé renvoie aux relations humaines. Il contribue à faire perdre de vue qu’il s’agit ici d’une entreprise capitaliste.

Le montant défini par défaut est relativement élevé (environ 20 % sur un don de 20 euros) comparé à d’autres plate-formes (parfois 3 %, mais sans forcément le savoir). Dans le contexte d’une entreprise à but lucratif, ce modèle lui impose de chercher à manipuler toujours plus les donateur·rice⋅s afin qu’elles et ils augmentent leur « pourboire ». Il n’est par exemple pas possible de le baisser sous un certain seuil sans devoir cocher une phrase culpabilisante, en nous rappelant que HelloAsso est une « entreprise solidaire d’utilité sociale ».

Comme on ne découvre ce montant qu’à la fin, cela permet à HelloAsso de bénéficier du travail sur les émotions que peuvent pratiquer les associations. Par exemple, après avoir vu la photo du bébé phoque en train de mourir, nous cliquerons tou·te·s sans trop regarder le détail des petites cases. HelloAsso recycle enfin à son compte la bienveillance que nous portons à l’égard des acteurs associatifs, et profite de leur travail et de leur image pour se développer.

Au final, cela n’a rien à voir avec un prix libre qui nécessite transparence et adhésion en connaissance de cause. Même en laissant le bénéfice du doute sur la réalité du destinataire des profits engendrés par la plate-forme, le but de HelloAsso n’est pas de rentrer dans ses frais mais bien de mener une politique ouvertement expansionniste, revendiquée pour le bien du monde associatif.

Statuts, vertu et perspectives

HelloAsso, contrairement à ce que présupposent la plupart des associations utilisatrices, n’est elle-même pas une association. C’est une société par actions simplifiée (SAS), détenue jusque-là pour l’essentiel par une personne.

Même s’il est coutume de dire « statut n’est pas vertu », une SAS est avant tout caractérisée par la grande liberté laissée aux associés fondateurs, notamment dans les règles d’organisation de la société (comme la nomination des dirigeants). Alors que HelloAsso est déterminée à « agir ensemble », pourquoi ne pas associer les usagers dans la vie démocratique de l’entreprise ? Et puisqu’elle se veut « au service des associations », avec comme ambition « d’aider au développement du monde associatif » – allant parfois jusqu’à vouloir le représenter – pourquoi n’ont-elles aucun pouvoir de décision ?

Ces choix ne peuvent que nous faire poser la question des intentions des fondateurs, notamment concernant leurs perspectives. Soulignons que même les associations – les premières concernées – n’en ont pas connaissance, et n’ont évidemment pas voix au chapitre. Ce n’est pas faire un procès d’intention aux fondateurs que d’imaginer que HelloAsso pourrait, à court ou moyen terme, devenir un gros opérateur commercial du secteur associatif. L’influence de l’entreprise sur le monde associatif serait alors indéniable, en le modelant au travers de leur activité déployée. Des plateformes comme BlaBlaCar, détenue par la société Comuto, ont par exemple mené avec succès une stratégie d’enfermement commercial d’un service qui se présentait comme communautaire, en le rendant payant après quelques années.

En guise de conclusion…

Il nous semble tout d’abord essentiel que le monde associatif, ses réseaux, ses militant·es, bénévoles, salarié·es, posent un regard critique sur la réalité du système HelloAsso. Au-delà, c’est toute la question des outils numériques utilisés par les associations qui est posée. Ils sont souvent considérés et présentés comme neutres et sans enjeux. Or, cette fausse neutralité recouvre à la fois de réelles considérations marchandes, et de forts enjeux en matière de sécurité et de confidentialité.

Pour que HelloAsso soit crédible dans ses valeurs de solidarité, il faudrait qu’elle libère déjà ses outils, afin de permettre leur décentralisation et leur appropriation par les collectifs impliqués. L’entreprise pourrait aussi s’inspirer de son manifeste pour changer de modèle de gérance : privilégier le collectif à l’individuel. Les associations doivent avoir leur mot à dire sur un outil qui concerne leur quotidien.
Nous sommes bien conscient·es, qu’actuellement, il n’y a pas d’alternatives recommandables au service de dons de HelloAsso. Notre propos n’est pas d’inciter à quitter HelloAsso au profit d’un autre modèle dominant. Au contraire, nous appelons le monde associatif à définir lui-même ses besoins, et à s’auto-organiser, le cas échéant, pour se doter d’un éco-système numérique de confiance, contrôlé et maîtrisé par les associations elles-mêmes.

Enfin, nous appelons le monde associatif à se questionner sur ce recours aveugle aux outils numériques : n’est-il plus possible de s’associer sans avoir recours à ces géants de la technologie ? Ne pouvons-nous pas simplement se voir, échanger, tisser du lien social ? C’est moins « rapide » et plus « exigeant », mais, à minima, cela renforce le projet associatif.


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[1Pour en savoir plus sur les services se substituant au logiciel : https://www.gnu.org/philosophy/who-does-that-server-really-serve.html